Le squid game des commerciaux en période d’essai.

Commerciaux et squid game

Si tu ne remplis pas la totalité de tes objectifs en tant que nouvelle recrue dans les équipes commerciales, tu gicles avant la fin de ta période d’essai. C’est le jeu et la norme dans la plupart des start-ups pour les commerciaux. 

Ce qui est le plus effarant, c’est lorsque le manager censé donner les directives et rectifier le tir se manifeste tardivement. Pire : il reste aux abonnés absents.  

Certains managers qui ont pourtant passé du temps à recruter les “bons candidats” pour constituer leur équipe vont se désintéresser littéralement de leur recrue une fois les deux premières semaines passées. 

Nous allons surtout les voir courir de salons en salons, partir en déplacement, s’esquinter les yeux sur leurs tableaux excel à suivre les prédictions des objectifs. Ils ne vont pas prendre de temps pour effectuer une simple réunion de suivi avec leur nouvelle recrue.

Alors que les nouveaux sont encore en plein onboarding (intégration, assimilation des logiciels et du mode de fonctionnement de l’entreprise). Ils se disent avec assurance que les nouvelles recrues ont une feuille de route bien remplie et qu’ils les verront plus tard.

C’est le cas de Typhanie, 25 ans, recrutée en tant que business developer (commerciale) dans une start-up ayant levé 50 Millions d’euros, rien que ça.  

A peine son contrat  signé en poche, l’entreprise lui propose un séminaire en Grèce, elle a des étoiles plein les yeux. 

Elle souhaite gagner plus, c’est pour ça qu’elle a postulé à ce poste de commerciale, il y a le fixe plus des commissions à la clef si elle remplit ses objectifs. 

Elle n’est pas la seule à avoir été recrutée, il y en a 7 autres pour d’autres postes toujours dans le commercial.

La partie commence.

Typhaine a effectué son premier jour super excitée et enthousiaste, gonflée à bloc par ses 3 jours de voyage avec son entreprise. Il faut dire qu’ils ont mis le paquet : en all inclusive avec des excursions en bateau, des moments pour “chiller” pour la plupart du temps pour pouvoir se parler entre collègues et bien sûr la fiesta le soir. 

Pour son premier jour, on lui remet son planning, on lui fait faire le tour des services avec le reste des nouvelles recrues et elle reçoit sa panoplie de goodies à l’effigie de son entreprise : stylo, carnet moleskine, casque audio et T-shirt, sans compter la fameuse boule en mousse “anti stress” (tiens on se demande bien pourquoi elle est là celle-là ?).

On lui fait sa photo à laquelle elle ajoute un texte en guise de présentation à la boîte. 

Plus les jours passent, plus elle est submergée de meetings, de notifications, de propositions d’événements, de jeux et d’afterwork pour renforcer « l’esprit d’équipe” lui dit-on.

D’ailleurs, c’est parfois dur de se concentrer 5 minutes dans l’open space tant il y a de gens qui passent un café à la main raconter les ragots du dernier apéro, la dernière série qu’ils ont vu ou encore, le prochain week-end au ski à organiser.

Typhaine, s’active, joue le jeu, se donne à fond pour coller aux objectifs, avec les bribes d’informations prises à droite à gauche. Elle rentre ses premières prospects dans le CRM pour Customer Relationship Manager, l’outil ultime des managers qui d’un clic obtiennent l’état des lieux de l’activité de chaque commercial versus les objectifs demandés et versus ce que tous les autres commerciaux font. Toute la boite est au courant au même moment dès qu’un contrat est signé et sait qui l’a signé puisque la notification est envoyée dans toutes les boîtes mail de l’entreprise tous services confondus. Et il n’y a que pour les commerciaux que cette « mise en lumière » est faite (hum hum bel euphémisme ). Il ne viendrait à l’esprit de personne de voir l’annonce d’un contrat avec un fournisseur décroché envoyé à toute la boite ou encore chaque ligne de code ajoutée en front end sur le site etc… LOGIQUE !

Véritable mouchard, cet outil tant redouté des commerciaux donne un niveau de détail très fin du travail du commercial : du nombre d’appels aux nombres de connexions au quotidien en passant par les prospects qui seraient susceptibles de signer d’ici 3 à 6 mois que l’on appelle dans le jargon : le pipeline. 

Ainsi les moindres faits et gestes des commerciaux sont retranscrits dans l’outil qui sait tout de l’activité jour après jour et le nombre de contrats signés avec le budget par commercial et par équipe.  

  La mise à mort

Le rythme s’accentue, Typhaine  s’est inscrite à l’escape game du mardi soir, elle participe à un salon E-commerce en renfort de dernière minute le lendemain et va à l’afterwork du jeudi soir. 

Elle a commencé ses premiers appels aux prospects et a décroché ses premiers rdv, remportant des petites victoires face au listing d’appels sans fin.  Elle s’accroche, joue au baby-foot  lors de ses pauses qui lui sert d’exutoire avec des collègues. 

Et elle n’y peut rien mais elle a ce sentiment lancinant que les autres font mieux. C’est aussi parce que ça sent la compétition entre commerciaux. 

Elle doit négocier un rendez-vous avec un client qui souhaite la présence d’un manager, elle rame pour obtenir l’attention de son supérieur, lui demander son emploi du temps et caler ce rdv. Quand enfin elle y parvient, le manager lui a partagé  son emploi du temps en ligne, elle n’a plus qu’à sélectionner un créneau. 

Mais bon, ce serait quand même mieux si elle expliquait les enjeux et le contexte de vive voix. Pour cela, elle sollicite un 1to1, un rdv en face à face, et là c’est la croix et la bannière. Il lui dit tout d’abord « oui prends un créneau dans mon agenda » mais ensuite il ne fera que décaler ce rdv. Elle va devoir se résoudre à lui en parler à la pause déjeuner entre deux bouchées de makis puis dans le couloir. Et c’est pareil pour tout, elle commence à déchanter.

Pas facile d’avancer ainsi par à-coups : oui, non, mais… 

Les mois défilent, Typhaine a signé son premier contrat, victoire, elle sent l’adrénaline courir dans ses veines lorsqu’elle voit son nom dans la notification de sa boite mail. Elle en a signé un enfin ! Quelques-uns la félicitent, son supérieur aussi, mais lui rappelle « qu’elle doit en signer d’autres ». 

Elles voient parfois défiler des personnes dans l’open space suivi du Responsable Commercial et du directeur RH. Ils ne font que ça recruter … des bruits courent que certains ont eu leur période d’essai assurée. Typhaine n’a rien entendu de ce genre pour elle. 

Un vendredi à 17h00, son manager lui demande de passer à son bureau, et là contre toute attente, il lui dit que son contrat s’arrête là, sa période d’essai n’est pas renouvelée. 

Elle peut signer des documents avant de partir qui lui donne droit aux indemnités chômage, elle peut récupérer ses affaires et partir de suite de l’entreprise. Le manager “magnanime”, lui offre les 4 prochaines semaines tous frais payés chez elle.

Elle est en état de choc et  arrive à peine à balbutier ces mots : “pourquoi, qu’est-ce que … “ Ils restent bloqués dans sa gorge …

D’un sourire carnassier et d’une compassion feinte, son responsable lui répond qu’ils ont recruté des profils qui matchent bien et d’autres moins. Elle fait partie du moins apparemment. 

Une autre variante qui peut être servie dans ce cas de figure : “et bien je ne vois pas un potentiel de signatures suffisant dans ton pipeline »(tunnel de vente).

Mais lui répond Typhaine, professionnelle jusqu’au bout des ongles : « et mes prospects et mes collègues je ne vais pas avoir le temps de les prévenir ni de leur dire au revoir ? « 

Typhaine, hébétée, la mort dans l’âme rejoint son bureau, réunit ses affaires et éteint son ordinateur. Un préposé à l’informatique vient réinitialiser son matériel, un nouveau matricule ira remplacer le sien. 

GAME OVER

Ce récit est tiré de faits réels, le prénom de la commerciale a été modifié, cette situation est vécue tous les jours par les nouvelles recrues commerciales. J’ai volontairement tu le nom des deux entreprises dont je me suis largement inspirée et mixer les éléments. Cette pratique, celle d’embaucher en masse de jeunes recrues commerciales en start-up et d’en sacrifier une partie avant la fin de la période d’essai me fait penser à la maxime : marche ou crève. Lorsque j’ai regardé la série Squid game, j’y ai vu différentes analogies et j’ai décidé d’en faire un article pour dénoncer ces pratiques. Je souhaite montrer qu’être commercial n’est pas de tout repos, qu’une pression écrasante des chiffres est présente à chaque instant.

Sachez juste que j’ai vécu de bout en bout ce qu’a traversé Typhaine lors d’une expérience commerciale. 

J’adresse un petit message à ces RH complaisants avec le responsable commercial : Restez le plus possible neutres et revoyez votre politique de recrutement de commerciaux pour une politique plus stable et plus humaine.

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